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quant une angoisse diffuse sans risques précis, communiquent les deux maladies à la fois.

Le risque est un danger qui provoque une réaction réfléchie ; c’est-à-dire qu’il ne dépasse pas les ressources de l’âme au point de l’écraser sous la peur. Dans certains cas, il enferme une part de jeu ; dans d’autres cas, quand une obligation précise pousse l’homme à y faire face, il constitue le plus haut stimulant possible.

La protection des hommes contre la peur et la terreur n’implique pas la suppression du risque ; elle implique au contraire la présence permanente d’une certaine quantité de risque dans tous les aspects de la vie sociale ; car l’absence de risque affaiblit le courage au point de laisser l’âme, le cas échéant, sans la moindre protection intérieure contre la peur. Il faut seulement que le risque se présente dans des conditions telles qu’il ne se transforme pas en sentiment de fatalité.

LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE

La propriété privée est un besoin vital de l’âme. L’âme est isolée, perdue, si elle n’est pas dans un entourage d’objets qui soient pour elle comme un prolongement des membres du corps. Tout homme est invinciblement porté à s’approprier par la pensée tout ce dont il a fait longtemps et continuellement usage pour le travail, le plaisir ou les nécessités de la vie. Ainsi un jardinier, au bout d’un certain temps, sent que le jardin est à lui. Mais là où le sentiment d’appropriation ne coïncide pas avec la propriété juridique, l’homme est continuellement menacé d’arrachements très douloureux.

Si la propriété privée est reconnue comme un besoin, cela implique pour tous la possibilité de posséder autre chose que les objets de consommation courante. Les modalités de ce besoin varient beaucoup selon les circonstances ; mais il est désirable que la plupart des gens soient propriétaires de leur logement