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et plus ou moins libertaire ; enfin les partis politiques. Fréquemment, au cours d’une grève, les ouvriers qui souffraient et luttaient auraient été bien incapables de se rendre compte s’il s’agissait de salaires, ou d’une poussée du vieil esprit syndical, ou d’une opération politique menée par un parti ; et personne non plus ne pouvait s’en rendre compte du dehors.

Une telle situation est impossible. Quand la guerre a éclaté, les syndicats en France étaient morts ou presque, malgré les millions d’adhérents ou à cause d’eux. Ils ont repris un embryon de vie, après une longue léthargie, à l’occasion de la résistance contre l’envahisseur. Cela ne prouve pas qu’ils soient viables. Il est tout à fait clair qu’ils avaient été tués ou presque par deux poisons dont chacun séparément était mortel.

Des syndicats ne peuvent pas vivre si les ouvriers y sont obsédés par les sous au même degré que dans l’usine, au cours du travail aux pièces. D’abord parce qu’il en résulte l’espèce de mort morale toujours causée par l’obsession de l’argent. Puis parce que, dans les conditions sociales présentes, le syndicat, étant alors un facteur perpétuellement agissant dans la vie économique du pays, finit inévitablement par être transformé en organisation professionnelle unique, obligatoire, mise au pas dans la vie officielle. Il est alors passé à l’état de cadavre.

D’autre part, il est non moins clair que le syndicat ne peut pas vivre à côté des partis politiques. Il y a là une impossibilité qui est de l’ordre des lois mécaniques. Pour une raison analogue, d’ailleurs, le parti socialiste ne peut pas vivre à côté du parti communiste, parce que le second possède la qualité de parti, si l’on peut dire, à un degré beaucoup plus élevé.

D’ailleurs l’obsession des salaires renforce l’influence communiste, parce que les questions d’argent, si vivement qu’elles touchent presque tous les hommes, dégagent en même temps pour tous les hommes un ennui si mortel que la perspective apocalyptique de la révolution, selon la version communiste, est indispensable pour compenser. Si les bourgeois n’ont pas le même besoin d’apocalypse, c’est que les chiffres élevés ont une poésie, un prestige qui tempère un peu l’ennui lié à l’argent, au lieu que quand l’argent se compte en sous, l’ennui est à l’état pur. D’ailleurs le goût des bourgeois grands et