Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’autre part, en droit pénal, une conception du châtiment où le rang social, comme circonstance aggravante, joue toujours dans une large mesure pour la détermination de la peine. À plus forte raison l’exercice des hautes fonctions publiques doit comporter de graves risques personnels.

Une autre manière de rendre l’égalité compatible avec la différence est d’ôter autant qu’on peut aux différences tout caractère quantitatif. Là où il y a seulement différence de nature, non de degré, il n’y a aucune inégalité.

En faisant de l’argent le mobile unique ou presque de tous les actes, la mesure unique ou presque de toutes choses, on a mis le poison de l’inégalité partout. Il est vrai que cette inégalité est mobile ; elle n’est pas attachée aux personnes, car l’argent se gagne et se perd ; elle n’en est pas moins réelle.

Il y a deux espèces d’inégalités, auxquelles correspondent deux stimulants différents. L’inégalité à peu près stable, comme celle de l’ancienne France, suscite l’idolâtrie des supérieurs — non sans un mélange de haine refoulée — et la soumission à leurs ordres. L’inégalité mobile, fluide, suscite le désir de s’élever. Elle n’est pas plus proche de l’égalité que l’inégalité stable, et elle est tout aussi malsaine. La Révolution de 1789, en mettant en avant l’égalité, n’a fait en réalité que consacrer la substitution d’une forme d’inégalité à l’autre.

Plus il y a égalité dans une société, moindre est l’action des deux stimulants liés aux deux formes d’inégalité, et par suite il en faut d’autres.

L’égalité est d’autant plus grande que les différentes conditions humaines sont regardées comme étant, non pas plus ou moins l’une que l’autre, mais simplement autres. Que la profession de mineur et celle de ministre soient simplement deux vocations différentes, comme celles de poète et de mathématicien. Que les duretés matérielles attachées à la condition de mineur soient comptées à l’honneur de ceux qui les souffrent.

En temps de guerre, si une armée a l’esprit qui convient, un soldat est heureux et fier d’être sous le feu et non au quartier général ; un général est heureux et fier que le sort de la bataille repose sur sa pensée ; et en même temps le soldat admire le général et le général admire le soldat. Un tel équilibre constitue