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ne soit privé d’aucune capacité du seul fait de sa naissance, l’espérance est la même pour tous les enfants. Ainsi chaque homme est égal en espérance à chaque autre, pour son propre compte quand il est jeune, pour le compte de ses enfants plus tard.

Mais cette combinaison, quand elle joue seule et non pas comme un facteur parmi d’autres, ne constitue pas un équilibre et enferme de grands dangers.

D’abord, pour un homme qui est dans une situation inférieure et qui en souffre, savoir que sa situation est causée par son incapacité, et savoir que tout le monde le sait, n’est pas une consolation, mais un redoublement d’amertume ; selon les caractères, certains peuvent en être accablés, certains autres menés au crime.

Puis il se crée ainsi inévitablement dans la vie sociale comme une pompe aspirante vers le haut. Il en résulte une maladie sociale si un mouvement descendant ne vient pas faire équilibre au mouvement ascendant. Dans la mesure où il est réellement possible qu’un enfant, fils de valet de ferme, soit un jour ministre, dans cette mesure il doit être réellement possible qu’un enfant, fils de ministre, soit un jour valet de ferme. Le degré de cette seconde possibilité ne peut être considérable sans un degré très dangereux de contrainte sociale.

Cette espèce d’égalité, si elle joue seule et sans limites, donne à la vie sociale un degré de fluidité qui la décompose.

Il y a des méthodes moins grossières pour combiner l’égalité et la différence. La première est la proportion. La proportion se définit comme la combinaison de l’égalité et de l’inégalité, et partout dans l’univers elle est l’unique facteur de l’équilibre.

Appliquée à l’équilibre social, elle imposerait à chaque homme des charges correspondantes à la puissance, au bien-être qu’il possède, et des risques correspondants en cas d’incapacité ou de faute. Par exemple, il faudrait qu’un patron incapable ou coupable d’une faute envers ses ouvriers ait beaucoup plus à souffrir, dans son âme et dans sa chair, qu’un manœuvre incapable, ou coupable d’une faute envers son patron. De plus, il faudrait que tous les manœuvres sachent qu’il en est ainsi. Cela implique, d’une part, une certaine organisation des risques,