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les phénomènes des relations mathématiques ou analogues aux relations mathématiques. La mathématique éternelle, ce langage à deux fins, est l’étoffe dont est tissé l’ordre du monde.

Tout phénomène est une modification dans la distribution de l’énergie, et par suite est déterminé par les lois de l’énergie. Mais il y a plusieurs espèces d’énergie, et elles sont disposées dans un ordre hiérarchique. La force mécanique, pesanteur ou gravitation au sens de Newton, qui nous fait continuellement sentir sa contrainte, n’est pas l’espèce la plus élevée. La lumière impalpable et sans poids est une énergie qui fait monter malgré la pesanteur les arbres, et les tiges des blés. Nous la mangeons dans le blé et les fruits, et sa présence en nous nous donne la force de nous tenir debout et de travailler.

Un infiniment petit, dans certaines conditions, opère d’une manière décisive. Il n’est pas de masse si lourde qu’un point ne lui soit égal ; car une masse ne tombe pas si l’on en soutient un seul point, à condition que ce point soit le centre de gravité. Certaines transformations chimiques ont pour condition l’opération de bactéries presque invisibles. Les catalyseurs sont d’imperceptibles fragments de matière dont la présence est indispensable à d’autres transformations chimiques. D’autres fragments minuscules, de composition presque identique, ont par leur présence une vertu non moins décisive d’inhibition ; sur ce mécanisme est fondée la plus puissante des médications récemment découvertes.

Ainsi ce n’est pas seulement la mathématique, c’est la science entière qui, sans que nous songions à le remarquer, est un miroir symbolique des vérités surnaturelles.

La psychologie moderne voudrait faire de l’étude de l’âme une science. Un peu plus de précision suffirait pour y parvenir. Il faudrait mettre à la base la notion de matière psychique, liée à l’axiome de Lavoisier, valable pour toute matière, « rien ne se perd, rien ne se crée » ; autrement dit les changements sont ou bien des modifications de forme, sous lesquelles quelque chose persiste, ou bien des déplacements, mais jamais simplement des apparitions et disparitions. Il faudrait y introduire la notion de limite, et poser en principe que dans la partie terrestre de l’âme tout est fini, limité, susceptible d’épuisement. Enfin il faudrait y