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trouve sous l’empire des besoins. Il faut oublier tout besoin pour concevoir les relations dans leur pureté immatérielle. Si l’on y parvient, on se rend compte du jeu des forces par lesquelles la satisfaction est accordée ou refusée aux besoins.

Les forces d’ici-bas sont souverainement déterminées par la nécessité ; la nécessité est constituée par des relations qui sont des pensées ; par suite la force qui est souveraine ici-bas est souverainement dominée par la pensée. L’homme est une créature pensante ; il est du côté de ce qui commande à la force. Il n’est certes pas seigneur et maître de la nature, et Hitler avait raison de dire qu’en croyant l’être il se trompe ; mais il est le fils du maître, l’enfant de la maison. La science en est la preuve. Un enfant tout jeune dans une riche maison est en bien des choses soumis aux domestiques ; mais quand il est sur les genoux de son père et s’identifie à lui par l’amour, il a part à l’autorité.

Tant que l’homme tolère d’avoir l’âme emplie de ses propres pensées, de ses pensées personnelles, il est entièrement soumis jusqu’au plus intime de ses pensées à la contrainte des besoins et au jeu mécanique de la force. S’il croit qu’il en est autrement, il est dans l’erreur. Mais tout change quand, par la vertu d’une véritable attention, il vide son âme pour y laisser pénétrer les pensées de la sagesse éternelle. Il porte alors en lui les pensées mêmes auxquelles la force est soumise.

La nature de la relation, et de l’attention indispensable pour la concevoir, était aux yeux des Grecs une preuve que la nécessité est réellement obéissance à Dieu. Ils en avaient une autre. C’étaient les symboles inscrits dans les relations elles-mêmes, comme la signature du peintre est écrite dans un tableau.

La symbolique grecque explique le fait que Pythagore ait offert un sacrifice dans sa joie d’avoir trouvé l’inscription du triangle rectangle dans le demi-cercle.

Le cercle, aux yeux des Grecs, était l’image de Dieu. Car un cercle qui tourne sur lui-même, c’est un mouvement où rien ne change et parfaitement bouclé sur soi-même. Le symbole du mouvement circulaire exprimait chez eux la même vérité qui est exprimée dans le dogme chrétien par la conception de l’acte éternel d’où procèdent les relations entre les Personnes de la Trinité.