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de ces paroles, mais étaient tenus de croire qu’elles enfermaient une vérité. Car un saint, quand il dit de telles choses, ne peut ni mentir ni se tromper. Nous de même, nous sommes tenus de croire tout ce qu’a dit le Christ, sauf là où nous pouvons supposer une mauvaise transcription ; et ce qui fait la force de la preuve, c’est la beauté. Quand ce qui est en question est le bien, la beauté est une preuve rigoureuse et certaine ; et même il ne peut y en avoir aucune autre. Il est absolument impossible qu’il y en ait aucune autre.

Le Christ a dit : « Si je n’avais pas fait parmi eux des actes que nul autre n’a faits, ils n’auraient pas de faute », mais il a dit aussi : « Si je n’étais pas venu leur parler, ils n’auraient pas de faute. » Ailleurs il parle de ses « belles actions ». Les actes et les paroles sont mis ensemble. Le caractère exceptionnel des actes n’avait pour fin que d’attirer l’attention. Une fois l’attention attirée, il ne peut y avoir d’autre preuve que la beauté, la pureté, la perfection.

La parole adressée à Thomas : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » ne peut pas porter sur ceux qui, sans l’avoir vu, croient le fait de la résurrection. Ce serait un éloge de la crédulité, non de la foi. Il y a partout des vieilles femmes qui ne demandent qu’à croire indifféremment toutes les histoires de morts ressuscités. Sûrement ceux qui sont dits heureux sont ceux qui n’ont pas besoin de la résurrection pour croire, et pour qui la perfection et la Croix sont des preuves.

Ainsi du point de vue religieux les miracles sont chose secondaire, et du point de vue scientifique ils entrent naturellement dans la conception scientifique du monde. Quant à l’idée de prouver Dieu par la violation des lois de la nature, elle aurait sans doute paru monstrueuse aux premiers chrétiens. Elle ne pouvait surgir que dans nos esprits malades, qui croient que la fixité de l’ordre du monde peut fournir des arguments légitimes aux athées.

La succession des événements du monde apparaît, elle aussi, dans l’Évangile, comme réglée par une Providence en un sens au moins impersonnelle et analogue à un mécanisme. Le Christ dit à ses disciples : « Voyez les oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent ni n’amassent dans les greniers, et votre père