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nourriture en abondance et trouvant sur le pas de sa porte quelqu’un aux trois quarts mort de faim, il passe sans rien lui donner.

C’est donc une obligation éternelle envers l’être humain que de ne pas le laisser souffrir de la faim quand on a l’occasion de le secourir. Cette obligation étant la plus évidente, elle doit servir de modèle pour dresser la liste des devoirs éternels envers tout être humain. Pour être établie en toute rigueur, cette liste doit procéder de ce premier exemple par voie d’analogie.

Par conséquent, la liste des obligations envers l’être humain doit correspondre à la liste de ceux des besoins humains qui sont vitaux, analogues à la faim.

Parmi ces besoins, certains sont physiques, comme la faim elle-même. Ils sont assez faciles à énumérer. Ils concernent la protection contre la violence, le logement, les vêtements, la chaleur, l’hygiène, les soins en cas de maladie.

D’autres, parmi ces besoins, n’ont pas rapport avec la vie physique, mais avec la vie morale. Comme les premiers cependant ils sont terrestres, et n’ont pas de relation directe qui soit accessible à notre intelligence avec la destinée éternelle de l’homme. Ce sont, comme les besoins physiques, des nécessités de la vie d’ici-bas. C’est-à-dire que s’ils ne sont pas satisfaits, l’homme tombe peu à peu dans un état plus ou moins analogue à la mort, plus ou moins proche d’une vie purement végétative.

Ils sont beaucoup plus difficiles à reconnaître et à énumérer que les besoins du corps. Mais tout le monde reconnaît qu’ils existent. Toutes les cruautés qu’un conquérant peut exercer sur des populations soumises, massacres, mutilations, famine organisée, mise en esclavage ou déportations massives, sont généralement considérées comme des mesures de même espèce, quoique la liberté ou le pays natal ne soient pas des nécessités physiques. Tout le monde a conscience qu’il y a des cruautés qui portent atteinte à la vie de l’homme sans porter atteinte à son corps. Ce sont celles qui privent l’homme d’une certaine nourriture nécessaire à la vie de l’âme.

Les obligations, inconditionnées ou relatives, éternelles ou changeantes, directes ou indirectes à l’égard des choses humaines dérivent toutes, sans exception, des besoins vitaux de l’être hu-