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que tout ce qui se produit, sans aucune exception, est conforme à la volonté de Dieu en tant que Créateur ; et que tout ce qui enferme au moins une parcelle de bien pur procède de l’inspiration surnaturelle de Dieu en tant que bien absolu. Mais quand un saint fait un miracle, ce qui est bien, c’est la sainteté, non le miracle.

Un miracle est un phénomène physique parmi les conditions préalables duquel se trouve un abandon total de l’âme soit au bien, soit au mal.

Il faut dire soit au bien, soit au mal, car il y a des miracles diaboliques. « Il surgira des pseudochrists et des pseudoprophètes qui feront des signes et des prodiges capables de faire errer, si c’était possible, même les élus » (Marc, 13, 22). « Beaucoup me diront en ce jour : Seigneur, Seigneur, est-ce qu’en ton nom nous n’avons pas prophétisé, et en ton nom chassé les démons, et en ton nom fait beaucoup de miracles ? Et alors je leur déclarerai : Je ne vous ai jamais connu ; allez-vous-en loin de moi, vous qui avez opéré des choses illégitimes » (Math., 3, 22).

Il n’est nullement contraire aux lois de la nature qu’à un abandon total de l’âme au bien ou au mal correspondent des phénomènes physiques qui ne se produisent que dans ce cas. Il serait contraire aux lois de la nature qu’il en fût autrement. Car à chaque manière d’être de l’âme humaine correspond quelque chose de physique. À la tristesse correspond de l’eau salée dans les yeux ; pourquoi pas à certains états d’extase mystique, comme on raconte, un certain soulèvement du corps au-dessus du sol ? Le fait est exact ou non ; peu importe. Ce qui est certain, c’est que, si l’extase mystique est quelque chose de réel dans l’âme, il doit y correspondre dans le corps des phénomènes qui n’apparaissent pas quand l’âme est dans un autre état. La liaison entre l’extase mystique et ces phénomènes est constituée par un mécanisme analogue à celui qui lie la tristesse et les larmes. Nous ne savons rien du premier mécanisme. Mais nous ne savons pas davantage du second.

L’unique fait surnaturel ici-bas, c’est la sainteté elle-même et ce qui en approche ; c’est le fait que les commandements divins deviennent chez ceux qui aiment Dieu un mobile, une force agissante, une énergie motrice, au sens littéral, comme l’essence