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l’appel, même d’une seconde. Le moment ne compte pas ; il n’est pas tenu compte non plus de la quantité ni de la qualité du travail dans la vigne. On passe ou non du temps dans l’éternité selon qu’on a consenti ou refusé.

« Quiconque s’élève soi-même sera abaissé, quiconque s’abaisse soi-même sera élevé » ; cela évoque une balance, comme si la partie terrestre de l’âme était dans un plateau, et la partie divine dans l’autre. Un hymne du Vendredi Saint compare aussi la Croix à une balance. « …Ceux-là ont reçu leur récompense ». Dieu n’a donc le pouvoir de récompenser que les efforts qui sont sans récompense ici-bas, les efforts accomplis à vide ; le vide attire la grâce. Les efforts à vide constituent l’opération que le Christ appelle « amasser des trésors dans le ciel ».

On pourrait trouver dans les Évangiles, quoiqu’ils ne nous aient transmis qu’une faible partie des enseignements du Christ, ce qu’on pourrait nommer une physique surnaturelle de l’âme humaine. Comme toute doctrine scientifique, elle ne contient que des choses clairement intelligibles et expérimentalement vérifiables. Seulement la vérification est constituée par la marche vers la perfection, et par suite il faut croire sur parole ceux qui l’ont accomplie. Mais nous croyons bien sur parole et sans contrôle ce que nous disent les savants de ce qui se passe dans leurs laboratoires, bien que nous ignorions s’ils aiment la vérité. Il serait plus juste de croire sur parole les saints, du moins ceux qui sont authentiques, car il est certain qu’ils aiment parfaitement la vérité.

Le problème des miracles ne fait difficulté entre la religion et la science que parce qu’il est mal posé. Il faudrait pour bien le poser définir le miracle. En disant que c’est un fait contraire aux lois de la nature on dit une chose absolument dénuée de signification. Nous ne connaissons pas les lois de la nature. Nous ne pouvons faire à leur sujet que des suppositions. Si celles que nous supposons sont contredites par des faits, c’est que notre supposition était au moins partiellement erronée. Dire qu’un miracle est l’effet d’un vouloir particulier de Dieu n’est pas moins absurde. Parmi les événements qui se produisent, nous n’avons aucune raison d’affirmer que certains plus que d’autres procèdent du vouloir de Dieu. Nous savons seulement, d’une manière générale,