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sens presque analogue à un mécanisme, s’y trouve aussi. « Devenez les fils de votre Père, celui des cieux ; car il fait lever le soleil sur les méchants et les bons, et fait tomber la pluie sur les justes et les injustes… Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mat., 5, 45).

Ainsi c’est l’impartialité aveugle de la matière inerte, c’est cette régularité impitoyable de l’ordre du monde, absolument indifférente à la qualité des hommes, et de ce fait si souvent accusée d’injustice — c’est cela qui est proposé comme modèle de perfection à l’âme humaine. C’est une pensée d’une profondeur telle que nous ne sommes pas même aujourd’hui capables de la saisir ; le christianisme contemporain l’a tout à fait perdue.

Toutes les paraboles sur la semence répondent à la notion d’une providence impersonnelle. La grâce tombe de chez Dieu dans tous les êtres ; ce qu’elle y devient dépend de ce qu’ils sont ; là où elle pénètre réellement, les fruits qu’elle porte sont l’effet d’un processus analogue à un mécanisme, et qui, comme un mécanisme, a lieu dans la durée. La vertu de patience, ou pour traduire plus exactement le mot grec, d’attente immobile, est relative à cette nécessité de la durée.

La non-intervention de Dieu dans l’opération de la grâce est exprimée aussi clairement que possible : « Le royaume de Dieu, c’est comme si un homme jette du grain dans la terre, puis dort et veille la nuit et le jour, et le grain germe et pousse sans qu’il sache comment. Automatiquement la terre porte le fruit ; d’abord la tige, puis l’épi, puis la plénitude du grain dans l’épi » (Marc, 4, 26).

Tout ce qui concerne la demande évoque aussi quelque chose d’analogue à un mécanisme. Tout désir réel d’un bien pur, à partir d’un certain degré d’intensité, fait descendre le bien correspondant. Si l’effet ne se produit pas, le désir n’est pas réel, ou il est trop faible, ou le bien désiré est imparfait, ou il est mélangé de mal. Quand les conditions sont remplies, Dieu ne refuse jamais. Comme la germination de la grâce, c’est un processus qui s’accomplit dans la durée. C’est pourquoi le Christ nous prescrit d’être importuns. Les comparaisons dont il use sur ce point évoquent, elles aussi, un mécanisme. C’est un mécanisme psychologique qui contraint le juge à satisfaire la veuve : « Je ferai