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il consiste, pour apprécier une chose quelconque, à tenter de discerner la proportion de bien contenue, non dans la chose elle-même, mais dans les mobiles de l’effort qui l’a produite. Car autant il y a de bien dans le mobile, autant il y en a dans la chose elle-même, et non davantage. La parole du Christ sur les arbres et les fruits le garantit.

Dieu seul, il est vrai, discerne les mobiles dans le secret des cœurs. Mais la conception qui domine une activité, conception qui généralement n’est pas secrète, est compatible avec certains mobiles et non avec d’autres ; il en est qu’elle exclut par nécessité, par la nature des choses.

Il s’agit donc d’une analyse qui mène a apprécier le produit d’une activité humaine particulière par l’examen des mobiles compatibles avec la conception qui y préside.

De cette analyse découle une méthode pour améliorer les hommes — peuples et individus, et soi-même pour commencer — en modifiant les conceptions de manière à faire jouer les mobiles les plus purs.

La certitude que toute conception incompatible avec des mobiles vraiment purs est elle-même entachée d’erreur est le premier des articles de foi. La foi est avant tout la certitude que le bien est un. Croire qu’il y a plusieurs biens distincts et mutuellement indépendants, comme vérité, beauté, moralité, c’est cela qui constitue le péché de polythéisme, et non pas laisser l’imagination jouer avec Apollon et Diane.

En appliquant cette méthode à l’analyse de la science des trois ou quatre derniers siècles, on doit reconnaître que le beau nom de vérité est infiniment au-dessus d’elle. Les savants, dans l’effort qu’ils fournissent jour après jour tout le long de leur vie, ne peuvent pas être poussés par le désir de posséder de la vérité. Car ce qu’ils acquièrent, ce sont simplement des connaissances, et les connaissances ne sont pas par elles-mêmes un objet de désir.

Un enfant apprend une leçon de géographie pour avoir une bonne note, ou par obéissance aux ordres reçus, ou pour faire plaisir à ses parents, ou parce qu’il sent une poésie dans les pays lointains et dans leurs noms. Si aucun de ces mobiles n’existe, il n’apprend pas sa leçon.