Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/224

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais les êtres qui malgré la chair et le sang ont franchi intérieurement une limite équivalente à la mort reçoivent par delà une autre vie, qui n’est pas en premier lieu de la vie, qui est en premier lieu de la vérité. De la vérité devenue vivante. Vraie comme la mort et vivante comme la vie. Une vie, comme disent les contes de Grimm, blanche comme la neige et rouge comme le sang. C’est elle qui est le souffle de vérité, l’Esprit divin.

Pascal déjà avait commis le crime du manque de probité dans la recherche de Dieu. Ayant eu l’intelligence formée par la pratique de la science, il n’a pas osé espérer qu’en laissant à cette intelligence son libre jeu elle reconnaîtrait dans le dogme chrétien une certitude. Et il n’a pas osé non plus courir le risque d’avoir à se passer du christianisme. Il a entrepris une recherche intellectuelle en décidant à l’avance où elle devait le mener. Pour éviter tout risque d’aboutir ailleurs, il s’est soumis à une suggestion consciente et voulue. Après quoi il a cherché des preuves. Dans le domaine des probabilités, des indications, il a aperçu des choses très fortes. Mais quant aux preuves proprement dites, il n’en a mis en avant que de misérables, l’argument du pari, les prophéties, les miracles. Ce qui est plus grave pour lui, c’est qu’il n’a jamais atteint la certitude. Il n’a jamais reçu la foi, et cela parce qu’il avait cherché à se la procurer.

La plupart de ceux qui vont au christianisme, ou qui, y étant nés et ne l’ayant jamais quitté, s’y attachent d’un mouvement vraiment sincère et fervent, sont poussés et ensuite maintenus par un besoin du cœur. Ils ne pourraient pas se passer de la religion. Du moins ils ne pourraient pas s’en passer sans qu’il en résulte en eux une espèce de dégradation. Or pour que le sentiment religieux procède de l’esprit de vérité, il faut être totalement prêt à abandonner sa religion, dût-on perdre ainsi toute raison de vivre, au cas où elle serait autre chose que la vérité. Dans cette disposition d’esprit seulement on peut discerner s’il y a en elle ou non de la vérité. Autrement on n’ose pas même poser le problème dans sa rigueur.

Dieu ne doit pas être pour un cœur humain une raison de vivre comme est le trésor pour l’avare. Harpagon et Grandet aimaient leur trésor ; ils se seraient fait tuer pour lui ; ils seraient morts de chagrin à cause de lui ; ils auraient accompli des mer-