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de Nerval. À la fin du siècle, Mallarmé a été admiré autant comme une espèce de saint que comme un poète, et c’étaient en lui deux grandeurs indiscernables l’une de l’autre. Mallarmé est un vrai poète.

Dans la prose, il y a peut-être une pureté mystérieuse dans Rabelais, où d’ailleurs tout est mystérieux. Il y en a certainement dans Montaigne, malgré ses nombreuses carences, parce qu’il était toujours habité par la présence d’un être pur et sans lequel il serait sans doute demeuré dans la médiocrité, c’est-à-dire La Boétie. Au xviie siècle, on peut penser à Descartes, à Retz, à Port-Royal, surtout à Molière. Au xviiie, il y a Montesquieu et Rousseau. C’est peut-être tout.

En supposant quelque exactitude dans cette énumération, cela ne signifierait pas qu’il ne faille pas lire le reste, mais qu’il faut le lire sans croire y trouver le génie de la France. Le génie de la France ne réside que dans ce qui est pur.

On a absolument raison de dire que c’est un génie chrétien et hellénique. C’est pourquoi il serait légitime de donner une part bien moindre dans l’éducation et la culture des Français aux choses spécifiquement françaises qu’à l’art roman, au chant grégorien, à la poésie liturgique et à l’art, à la poésie, à la prose des Grecs de la bonne époque. Là on peut boire à flots de la beauté absolument pure à tous égards.

Il est malheureux que le grec soit regardé comme une matière d’érudition pour spécialistes. Si l’on cessait de subordonner l’étude du grec à celle du latin, et si l’on cherchait seulement à rendre un enfant capable de lire facilement et avec plaisir un texte grec facile avec une traduction à côté, on pourrait diffuser une légère connaissance du grec très largement, même en dehors du secondaire. Tout enfant un peu doué pourrait entrer en contact direct avec la civilisation où nous avons puisé les notions mêmes de beauté, de vérité et de justice.

Jamais l’amour du bien ne s’allumera dans les cœurs à travers toute la population, comme il est nécessaire au salut du pays, tant qu’on croira que dans n’importe quel domaine la grandeur peut être l’effet d’autre chose que du bien.

C’est pourquoi le Christ a dit : « Un bon arbre produit de beaux fruits, un mauvais arbre produit des fruits pourris. » Ou