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Or le pouvoir n’est pas une fin. Par nature, par essence, par définition, il constitue exclusivement un moyen. Il est à la politique ce qu’est un piano à la composition musicale. Un compositeur qui a besoin d’un piano pour l’invention des mélodies se trouvera embarrassé s’il est dans un village où il n’y en ait pas. Mais si on lui en procure un, il s’agit alors qu’il compose.

Malheureux que nous sommes, nous avions confondu la fabrication d’un piano avec la composition d’une sonate.

Une méthode d’éducation n’est pas grand’chose si elle n’a pas pour inspiration la conception d’une certaine perfection humaine. Quand il s’agit de l’éducation d’un peuple, cette conception doit être celle d’une civilisation. Il ne faut pas la chercher dans le passé, qui ne contient que de l’imparfait. Bien moins encore dans nos rêves d’avenir, qui sont par nécessité aussi médiocres que nous-mêmes, et par suite de très loin inférieurs au passé. Il faut chercher l’inspiration d’une telle éducation, comme la méthode elle-même, parmi les vérités éternellement inscrites dans la nature des choses.

Voici, à ce sujet, quelques indications.

Quatre obstacles surtout nous séparent d’une forme de civilisation susceptible de valoir quelque chose. Notre conception fausse de la grandeur ; la dégradation du sentiment de la justice ; notre idolâtrie de l’argent ; et l’absence en nous d’inspiration religieuse. On peut s’exprimer à la première personne du pluriel sans aucune hésitation, car il est douteux qu’à l’instant présent un seul être humain sur la surface du globe terrestre échappe à cette quadruple tare, et plus douteux encore qu’il y en ait un seul dans la race blanche. Mais s’il y en a quelques-uns, comme il faut malgré tout l’espérer, ils sont cachés.

Notre conception de la grandeur est la tare la plus grave et celle dont nous avons le moins conscience comme d’une tare. Du moins comme d’une tare en nous ; chez nos ennemis elle nous choque, mais, malgré l’avertissement contenu dans la parole du Christ sur la paille et la poutre, nous ne songeons pas à la reconnaître comme nôtre.

Notre conception de la grandeur est celle même qui a inspiré la vie tout entière d’Hitler. Quand nous la dénonçons sans la