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même, devient par elle-même objet d’attachement. Il en résulte du bien ou du mal selon que l’action est par elle-même bonne ou mauvaise.

Si l’on tue des soldats allemands pour servir la France et qu’au bout d’un certain temps assassiner des êtres humains devienne un goût, il est clair que c’est un mal.

Si l’on aide des ouvriers qui fuient l’envoi en Allemagne pour servir la France, et qu’au bout d’un certain temps le secours aux malheureux devienne un goût, il est clair que c’est un bien.

Tous les cas ne sont pas aussi clairs, mais tous peuvent être examinés de cette manière.

Toutes choses égales d’ailleurs, il faut toujours choisir les modes d’action qui contiennent en eux-mêmes un entraînement vers le bien. Il le faut même très souvent quand toutes choses ne sont pas égales d’ailleurs. Il le faut non seulement pour le bien, ce qui suffirait, mais aussi, par surcroît, pour l’utilité.

Le mal est beaucoup plus facilement que le bien un mobile agissant, mais une fois que du bien pur est devenu un mobile agissant dans une âme, il y est la source d’une impulsion inépuisable et invariable, ce qui n’est jamais le cas du mal.

On peut très bien devenir un agent double par patriotisme, pour mieux servir son pays en trompant l’ennemi. Mais si les efforts qu’on accomplit dans cette activité dépassent l’énergie du mobile patriotique, et si par suite on prend goût à l’activité elle-même, il vient presque inévitablement un moment où l’on ne sait plus soi-même qui l’on sert et qui l’on trompe, où l’on est prêt à servir ou tromper n’importe qui.

Au contraire, si par patriotisme on est poussé à des actions qui font germer et croître l’amour d’un bien supérieur à la patrie, l’âme acquiert cette trempe qui fait les martyrs et la patrie en profite.

La foi est plus réaliste que la politique réaliste. Qui n’en a pas la certitude n’a pas la foi.

Il faut donc examiner et peser d’extrêmement près, en faisant chaque fois le tour du problème, chacun des modes d’action qui constituent la résistance illégale en France.

Une observation attentive sur place, accomplie uniquement de ce point de vue, est indispensable à cet effet.