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finisse par faire naître chez les siens une hostilité sourde, inavouée, parce qu’ils ont été obligés de lui donner plus d’énergie que leur affection n’en contenait.

Dans le peuple, où de telles obligations, ajoutées aux fatigues habituelles, sont tellement lourdes, il en résulte parfois une apparence d’insensibilité, ou même de cruauté, incompréhensible du dehors. C’est pour cela que, comme le remarquait un jour charitablement Gringoire, les cas d’enfants martyrs se rencontrent dans le peuple plus qu’ailleurs.

Les ressources de ce mécanisme pour produire le bien sont illustrées par une merveilleuse histoire bouddhiste.

Une tradition bouddhiste dit que le Bouddha a fait vœu de faire monter au ciel, à ses côtés, quiconque dirait son nom avec le désir d’être sauvé par lui. Sur cette tradition repose la pratique nommée : « la récitation du nom du Seigneur ». Elle consiste à répéter un certain nombre de fois quelques syllabes sanscrites, chinoises ou japonaises, qui veulent dire : « Gloire au Seigneur de Lumière ».

Un jeune moine bouddhiste était inquiet pour le salut éternel de son père, vieil avare qui ne pensait qu’à l’argent. Le prieur du couvent se fit amener le vieux et lui promit un sou chaque fois qu’il pratiquerait la récitation du nom du Seigneur ; s’il venait le soir dire combien de sous on lui devait, on les lui paierait. Le vieux, ravi, consacra à cette pratique tous ses moments disponibles. Il venait se faire payer au couvent chaque soir. Soudain on ne le vit plus. Après une semaine, le prieur envoya le jeune moine chercher des nouvelles de son père. On apprit ainsi que le vieux était maintenant absorbé par la récitation du nom du Seigneur au point qu’il ne pouvait plus compter combien de fois il la pratiquait ; c’est ce qui l’empêchait de venir chercher son argent. Le prieur dit au jeune moine de ne plus rien faire et d’attendre. Quelque temps après, le vieux arriva au couvent avec des yeux rayonnants, et raconta qu’il avait eu une illumination.

C’est à des phénomènes de ce genre que fait allusion le précepte du Christ : « Thésaurisez pour vous des trésors dans le ciel… car là où est ton trésor, là sera aussi ton cœur. »

Cela signifie qu’il y a des actions qui ont la vertu de transporter