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ment prononcées et viennent d’un lieu d’où l’on attende naturellement du bien, injectent du réconfort, de l’énergie et quelque chose comme une nourriture.

Ces deux fonctions de la parole, ce sont, dans la vie privée, des amis ou des guides naturels qui les remplissent ; d’ailleurs, en fait, très rarement.

Mais il est des circonstances où le drame public l’emporte tellement, dans la vie personnelle de chacun, sur les situations particulières, que beaucoup de pensées sourdes et de besoins sourds de cette espèce se trouvent être les mêmes chez presque tous les êtres humains qui composent un peuple.

Cela fournit la possibilité d’une action qui, tout en ayant pour objet tout un peuple, reste par essence une action, non pas collective, mais personnelle. Ainsi, loin d’étouffer les ressources profondes situées au secret de chaque âme, ce que fait inévitablement, par la nature des choses, toute action collective, quelle que soit l’élévation des buts poursuivis, cette espèce d’action les réveille, les excite et les fait croître.

Mais qui peut exercer une telle action ?

Dans les circonstances habituelles, il n’est peut-être aucun lieu d’où elle puisse être exercée. Des obstacles très forts empêchent qu’elle puisse l’être, sinon partiellement et à un faible degré, par un gouvernement. D’autres obstacles apportent un empêchement semblable à ce qu’elle soit exercée d’un lieu autre que l’État.

Mais à cet égard les circonstances où se trouve actuellement la France sont merveilleusement, providentiellement favorables.

À beaucoup d’autres égards il a été désastreux que la France n’ait pas eu à Londres, comme d’autres pays, un gouvernement régulier. Mais à cet égard-là c’est exceptionnellement heureux ; et de même il est heureux à cet égard que l’affaire d’Afrique du Nord n’ait pas abouti à la transformation du Comité National en gouvernement régulier.

La haine de l’État, qui existe d’une manière latente, sourde et très profonde en France depuis Charles VI, empêche que des paroles émanant directement d’un gouvernement puissent être accueillies par chaque Français comme la voix d’un ami.

D’un autre côté, dans une action de cette espèce, les paroles