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un contremaître, un ingénieur, peuvent apercevoir un procédé pour la remettre en marche, sans posséder une connaissance générale de la réparation des machines. La première chose qu’on fasse en pareil cas, c’est de regarder la machine. Pourtant, pour la regarder utilement, il faut avoir dans l’esprit la notion même des relations mécaniques.

De la même manière, en regardant au jour le jour la situation changeante de la France, il faut avoir dans l’esprit la notion de l’action publique comme mode d’éducation du pays.

Il ne suffit pas d’avoir aperçu cette notion, d’y avoir fait attention, de l’avoir comprise, il faut l’installer en permanence dans l’âme, de manière qu’elle soit présente même quand l’attention se porte vers autre chose.

Il y faut un effort d’autant plus grand que parmi nous c’est une pensée entièrement nouvelle. Depuis la Renaissance, l’activité publique n’a jamais été conçue sous cet aspect, mais seulement comme moyen pour établir une forme de pouvoir regardée comme désirable à tel ou tel égard.

L’éducation — qu’elle ait pour objet des enfants ou des adultes, des individus ou un peuple, ou encore soi-même — consiste à susciter des mobiles. Indiquer ce qui est avantageux, ce qui est obligatoire, ce qui est bien, incombe à l’enseignement. L’éducation s’occupe des mobiles pour l’exécution effective. Car jamais aucune action n’est exécutée en l’absence de mobiles capables de fournir pour elle la somme indispensable d’énergie.

Vouloir conduire des créatures humaines — autrui ou soi-même — vers le bien en indiquant seulement la direction, sans avoir veillé à assurer la présence des mobiles correspondants, c’est comme si l’on voulait, en appuyant sur l’accélérateur, faire avancer une auto vide d’essence.

Ou encore c’est comme si l’on voulait faire brûler une lampe à huile sans y avoir mis d’huile. Cette erreur a été dénoncée dans un texte assez célèbre, assez lu, relu et cité depuis vingt siècles. Néanmoins on la commet toujours.

On peut assez facilement classer les moyens d’éducation enfermés dans l’action publique.

D’abord la crainte et l’espérance, provoquées par les menaces et les promesses.