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Le problème d’une méthode pour insuffler une inspiration à un peuple est tout neuf. Platon y fait des allusions dans le Politique et ailleurs ; sans doute il y avait des enseignements à ce sujet dans le savoir secret de l’antiquité pré-romaine, qui a entièrement disparu. Peut-être s’entretenait-on encore de ce problème et d’autres semblables dans les milieux des Templiers et des premiers francs-maçons. Montesquieu, sauf erreur, l’a ignoré. Rousseau, qui était un esprit puissant, en a très clairement reconnu l’existence, mais n’est pas allé plus loin. Les hommes de 1789 ne semblent pas l’avoir soupçonné. En 1793, sans s’être donné la peine de le poser, moins encore de l’étudier, on a improvisé des solutions hâtives : fêtes de l’Être suprême, fêtes de la Déesse Raison. Elles ont été ridicules et odieuses. Au xixe siècle, le niveau des intelligences était descendu bien au-dessous du domaine où se posent de telles questions.

De nos jours, on a étudié et pénétré le problème de la propagande. Hitler notamment a apporté sur ce point une contribution durable au patrimoine de la pensée humaine. Mais c’est un problème tout autre. La propagande ne vise pas à susciter une inspiration ; elle ferme, elle condamne tous les orifices par où une inspiration pourrait passer ; elle gonfle l’âme tout entière avec du fanatisme. Ses procédés ne peuvent convenir pour l’objet contraire. Il ne s’agit pas non plus d’adopter des procédés opposés ; la relation de causalité n’est pas si simple.

Il ne faut pas penser non plus que l’inspiration d’un peuple est un mystère réservé à Dieu seul, et qui par suite échappe à toute méthode. Le degré suprême et parfait de la contemplation mystique est chose infiniment plus mystérieuse encore, et pourtant saint Jean de la Croix a écrit sur la manière d’y parvenir des traités qui, par la précision scientifique, l’emportent de loin sur tout ce qu’ont écrit les psychologues ou pédagogues de notre