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patrie en lui. La différence est immense. En un autre sens, elle est légère, et il suffirait de peu de chose pour la franchir. Mais peu de chose qui vienne d’un autre monde. Cela suppose une dissociation entre la patrie et l’État. Cela est possible si la grandeur du genre cornélien est abolie. Mais cela impliquerait l’anarchie si, en compensation, l’État ne trouve pas moyen d’acquérir par lui-même un surcroît de considération.

Pour cela, il doit certainement ne pas revenir aux anciennes modalités de la vie parlementaire et de la lutte des partis. Mais le plus important peut-être est la refonte totale de la police. Les circonstances y seraient favorables. La police anglaise serait intéressante à étudier. En tout cas, la libération du territoire entraînera, il faut l’espérer, la liquidation du personnel de la police, hors ceux qui ont personnellement agi contre l’ennemi. Il faut mettre à la place des hommes qui aient la considération publique, et, comme aujourd’hui malheureusement l’argent et les diplômes en sont la source principale, il faut exiger même à partir des agents et des inspecteurs un degré d’instruction assez élevé, plus haut, des diplômes très sérieux, et rétribuer largement. Même, si la mode des grandes Écoles continue en France — ce qui peut-être n’est pas désirable —, il en faudrait une pour la police, recrutée par concours. Ce sont des méthodes grossières, mais quelque chose de ce genre est indispensable. De plus, ce qui est encore beaucoup plus important, il ne faut plus de catégories sociales comme celles des prostituées et des repris de justice, qui aient une existence officielle comme bétail livré au bon plaisir de la police et lui fournissant à la fois des victimes et des complices ; car une double contamination est alors inévitable, le contact déshonore des deux côtés. Il faut abolir en droit l’une et l’autre de ces catégories.

Il faut aussi que le crime d’improbité envers l’État chez les hommes publics soit effectivement puni plus sévèrement que le vol à main armée.

L’État dans sa fonction administrative doit apparaître comme l’intendant des biens de la patrie ; un intendant plus ou moins bon, et dont il faut raisonnablement s’attendre qu’il soit en général plutôt mauvais que bon, parce que sa tâche est difficile et accomplie dans des conditions moralement défavorables.