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même fasse le choix des personnes, d’autre part que tous leurs camarades y trouvent un motif de fierté. Une telle méthode pourrait passer à l’état d’institution.

Là encore, il faut, tout en essayant d’empêcher les haines, encourager les différences. Jamais le bouillonnement des idées ne peut faire du mal à un pays comme le nôtre. C’est l’inertie mentale qui est mortelle pour lui.

Le devoir qui incombe à l’État d’assurer au peuple quelque chose qui soit réellement une patrie ne saurait être une condition pour l’obligation militaire qui incombe à la population en cas de péril national. Car si l’État manque à sa charge, si la patrie dépérit, néanmoins, tant que l’indépendance nationale subsiste, il y a espoir de résurrection ; si on regarde de près, on constate dans le passé de tous les pays, à des dates parfois rapprochées, des abaissements et des relèvements très surprenants. Mais si le pays est subjugué par des armes étrangères, il n’y a plus rien à espérer, sauf le cas de libération rapide. L’espérance seule, quand même il n’y aurait rien d’autre, vaut la peine qu’on meure pour la préserver.

Ainsi, bien que la patrie soit un fait et comme telle soumise à des conditions extérieures, à des hasards, l’obligation de la secourir en cas de danger mortel n’en est pas moins inconditionnée. Mais il est évident qu’en fait la population sera d’autant plus ardente que la réalité de la patrie lui aura été rendue plus sensible.

La notion de patrie ainsi définie est incompatible avec la conception actuelle de l’histoire du pays, avec la conception actuelle de la grandeur nationale, et par-dessus tout avec la manière dont on parle actuellement de l’Empire.

La France a un Empire, et par suite, quelle que soit la position de principe adoptée, il en découle des problèmes de fait qui sont très complexes et très différents selon les localités. Mais il ne faut pas tout mélanger. Il se pose d’abord une question de principe ; et même quelque chose de moins précis encore, une question de sentiment. Dans l’ensemble, un Français a-t-il lieu d’être heureux que la France ait un Empire, et d’y penser, d’en parler avec joie, avec fierté, et sur le ton d’un propriétaire légitime ?

Oui, si ce Français est patriote à la manière de Richelieu, de Louis XIV ou de Maurras. Non, si l’inspiration chrétienne, si la