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gande pacifiste. Car cela permettrait, sans injustice, de déshonorer ceux qui, faisant profession de pacifisme intégral ou presque intégral, se refuseraient à un témoignage de cette nature. Le pacifisme n’est susceptible de faire du mal que par la confusion entre deux répugnances, la répugnance à tuer et la répugnance à mourir. La première est honorable, mais très faible ; la seconde, presque inavouable, mais très forte ; leur mélange forme un mobile d’une grande énergie, qui n’est pas inhibé par la honte, et où la seconde répugnance est seule agissante. Les pacifistes français des dernières années répugnaient à mourir, nullement à tuer, sans quoi ils n’auraient pas couru si précipitamment, en juillet 1940, à la collaboration avec l’Allemagne. Le petit nombre qui se trouvait dans ces milieux par une véritable répugnance au meurtre a été tristement dupe.

En séparant ces deux répugnances, on supprime tout danger. L’influence de la répugnance à tuer n’est pas dangereuse ; d’abord elle est bonne, car elle procède du bien ; puis elle est faible, et il n’y a malheureusement aucune chance qu’elle cesse de l’être. Quant à ceux qui sont faibles devant la peur de la mort, il convient qu’ils soient des objets de compassion, car tout être humain, s’il n’est pas fanatisé, est au moins par moments susceptible de cette faiblesse ; mais s’ils font de leur faiblesse une opinion à propager, ils deviennent criminels, et il est alors nécessaire et facile de les déshonorer.

En définissant la patrie comme un certain milieu vital, on évite les contradictions et les mensonges qui rongent le patriotisme. Il est un certain milieu vital ; mais il y en a d’autres. Il a été produit par un enchevêtrement de causes où se sont mélangés le bien et le mal, le juste et l’injuste, et de ce fait il n’est pas le meilleur possible. Il s’est peut-être constitué aux dépens d’une autre combinaison plus riche en effluves vitales, et au cas où il en serait ainsi les regrets seraient légitimes ; mais les événements passés sont accomplis ; ce milieu existe, et tel qu’il est doit être préservé comme un trésor à cause du bien qu’il contient.

Les populations conquises par les soldats du roi de France ont dans beaucoup de cas souffert un mal. Mais tant de liens organiques ont poussé au cours des siècles qu’un remède chirurgical ne ferait qu’ajouter à ce mal un mal nouveau. Le passé n’est