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quelquefois. De même un mineur doit quelquefois donner tout, lorsqu’il y a accident dans la mine et des camarades en péril de mort. Cela est admis, reconnu. L’obligation envers la patrie est tout aussi évidente, dès lors que la patrie est éprouvée concrètement comme une réalité. Elle l’est aujourd’hui. La réalité de la France est devenue sensible à tous les Français par l’absence.

Jamais on n’a osé nier l’obligation envers la patrie autrement qu’en niant la réalité de la patrie. Le pacifisme extrême selon la doctrine de Gandhi n’est pas une négation de cette obligation, mais une méthode particulière pour l’accomplir. Cette méthode n’a jamais été appliquée, que l’on sache ; notamment elle ne l’a pas été par Gandhi, qui est bien trop réaliste. Si elle avait été appliquée en France, les Français n’auraient opposé aucune arme à l’envahisseur ; mais ils n’auraient jamais consenti à rien faire, dans aucun domaine, qui pût aider l’armée occupante, ils auraient tout fait pour la gêner, et ils auraient persisté indéfiniment, inflexiblement dans cette attitude. Il est clair qu’ils auraient péri en bien plus grand nombre et bien plus douloureusement. C’est l’imitation de la passion du Christ portée à l’échelle nationale.

Si une nation dans son ensemble était assez proche de la perfection pour qu’on pût lui proposer d’imiter la passion du Christ, certainement cela vaudrait la peine de le faire. Elle disparaîtrait, mais cette disparition vaudrait infiniment mieux que la survie la plus glorieuse. Mais il n’en est pas ainsi. Très probablement, presque certainement, il ne peut pas en être ainsi. C’est seulement l’âme, dans le plus secret de sa solitude, à qui il peut être donné de s’orienter vers une telle perfection.

Cependant, s’il y a des hommes qui aient comme vocation de témoigner pour cette perfection impossible, les pouvoirs publics sont obligés de les y autoriser, bien plus, de leur en donner les moyens. L’Angleterre reconnaît l’objection de conscience.

Mais ce n’est pas assez. Pour ceux-là, il faudrait se donner la peine d’inventer quelque chose qui, sans être une participation ni directe ni indirecte aux opérations stratégiques, soit une présence à la guerre proprement dite, et une présence beaucoup plus pénible et plus dangereuse que celle des soldats eux-mêmes.

Ce serait là l’unique remède aux inconvénients de la propa-