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d’Aubigné dit, malgré les différences si considérables de doctrine, qu’il procède directement des Albigeois. On peut voir combien était forte dans ces pays la haine du pouvoir central, par la ferveur religieuse témoignée à Toulouse aux restes du duc de Montmorency, décapité pour rébellion contre Richelieu. La même protestation latente les jeta avec enthousiasme dans la Révolution française. Plus tard ils devinrent radicaux-socialistes, laïques, anticléricaux ; sous la IIIe République ils ne haïssaient plus le pouvoir central, ils s’en étaient dans une large mesure emparés et l’exploitaient.

On peut remarquer qu’à chaque fois leur protestation a pris un caractère de déracinement plus intense et un niveau de spiritualité et de pensée plus bas. On peut remarquer aussi que depuis qu’ils ont été conquis, ces pays ont apporté à la culture française une contribution assez faible, alors qu’auparavant ils étaient tellement brillants. La pensée française doit davantage aux Albigeois et aux troubadours du xiie siècle, qui n’étaient pas français, qu’à tout ce que ces territoires ont produit au cours des siècles suivants.

Le comté de Bourgogne était le siège d’une culture originale et extrêmement brillante qui ne lui survécut pas. Les villes de Flandre avaient, à la fin du xive siècle, des relations fraternelles et clandestines avec Paris et Rouen ; mais des Flamands blessés aimaient mieux mourir que d’être soignés par les soldats de Charles VI. Ces soldats firent une expédition de pillage du côté de la Hollande, et en ramenèrent de riches bourgeois qu’on décida de tuer ; un mouvement de pitié amena à leur offrir la vie s’ils voulaient être sujets du roi de France ; ils répondirent qu’une fois morts leurs os refuseraient, s’ils pouvaient, d’être soumis à l’autorité du roi de France. Un historien catalan de la même époque, racontant l’histoire des Vêpres siciliennes, dit : « Les Français, qui, partout où ils dominent, sont aussi cruels qu’il est possible de l’être… »

Les Bretons furent désespérés quand leur souveraine Anne fut contrainte d’épouser le roi de France. Si ces hommes revenaient aujourd’hui, ou plutôt il y a quelques années, auraient-ils de très fortes raisons pour penser qu’ils s’étaient trompés ? Si discrédité que soit l’autonomisme breton par la personne de ceux