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cours où il demandait au clergé de proclamer la damnation de tous les régicides ; il donnait comme motif que ceux qui nourrissaient ce dessein étaient animés d’un enthousiasme bien trop fanatique pour être retenus par aucune peine temporelle.

Cette haine atteignit son degré d’exaspération le plus intense à la fin du règne de Louis XIV. Ayant été comprimée par une terreur d’intensité égale, elle explosa, selon la coutume déconcertante de l’histoire, avec quatre-vingts années de retard ; ce fut ce pauvre Louis XVI qui reçut le coup. Cette même haine empêcha qu’il pût y avoir vraiment une restauration de la royauté en 1815. Aujourd’hui encore, elle empêche absolument que le Comte de Paris puisse être librement accepté par le peuple de France, malgré l’adhésion d’un homme comme Bernanos. À certains égards c’est dommage ; beaucoup de problèmes pourraient être ainsi résolus ; mais c’est ainsi.

Une autre source de poison dans l’amour des Français pour le royaume de France est le fait qu’à chaque époque, parmi les territoires placés sous l’obéissance du roi de France, certains se sentaient des pays conquis et étaient traités comme tels. Il faut reconnaître que les quarante rois qui en mille ans firent la France ont souvent mis à cette besogne une brutalité digne de notre époque. S’il y a correspondance naturelle entre l’arbre et les fruits, on ne doit pas s’étonner que le fruit soit en fait loin de la perfection.

Par exemple, on peut trouver dans l’histoire des faits d’une atrocité aussi grande, mais non plus grande, sauf peut-être quelques rares exceptions, que la conquête par les Français des territoires situés au sud de la Loire, au début du xiiie siècle. Ces territoires où existait un niveau élevé de culture, de tolérance, de liberté, de vie spirituelle, étaient animés d’un patriotisme intense pour ce qu’ils nommaient leur « langage » ; mot par lequel ils désignaient la patrie. Les Français étaient pour eux des étrangers et des barbares, comme pour nous les Allemands. Pour imprimer immédiatement la terreur, les Français commencèrent par exterminer la ville entière de Béziers, et ils obtinrent l’effet cherché. Une fois le pays conquis, ils y installèrent l’Inquisition. Un trouble sourd continua à couver parmi ces populations, et les poussa plus tard à embrasser avec ardeur le protestantisme, dont