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lité à garder présente à l’esprit comme guide en toutes choses. Si cette modestie est moins puissante pour entraîner les masses que des attitudes plus vulgaires, peu importe. Il vaut mieux échouer que réussir à faire du mal.

Mais cette pensée n’aurait pas besoin d’être lancée avec fracas pour imprégner peu à peu les esprits, parce qu’elle répond aux inquiétudes de tous dans le moment présent. Tout le monde répète, avec des termes légèrement différents, que nous souffrons d’un déséquilibre dû à un développement purement matériel de la technique. Le déséquilibre ne peut être réparé que par un développement spirituel dans le même domaine, c’est-à-dire dans le domaine du travail.

La seule difficulté, c’est la méfiance douloureuse et malheureusement trop légitime des masses, qui regardent toute formule un peu élevée comme un piège dressé pour les duper.

Une civilisation constituée par une spiritualité du travail serait le plus haut degré d’enracinement de l’homme dans l’univers, par suite l’opposé de l’état où nous sommes, qui consiste en un déracinement presque total. Elle est ainsi par nature l’aspiration qui correspond à notre souffrance.

DÉRACINEMENT ET NATION

Une autre espèce de déracinement encore doit être étudiée pour une connaissance sommaire de notre principale maladie. C’est le déracinement qu’on pourrait nommer géographique, c’est-à-dire par rapport aux collectivités qui correspondent à des territoires. Le sens même de ces collectivités a presque disparu, excepté pour une seule, pour la nation. Mais il y en a, il y en a eu beaucoup d’autres. Certaines plus petites, toutes petites parfois : ville ou ensemble de villages, province, région ; certaines englobant plusieurs nations ; certaines englobant plusieurs morceaux de nations.

La nation seule s’est substituée à tout cela. La nation, c’est-à-