Il ne peut y avoir de misère plus radicale que celle d’être autre que Dieu. Cette misère est celle de toute créature. La création dans sa détresse a imaginé la ruse d’une femme pauvre qui espère s’associer d’une manière durable à la destinée d’un homme riche en ayant un enfant de lui, malgré lui. Elle a imaginé d’avoir un enfant de Dieu. Elle a choisi un moment où Dieu est ivre et endormi. Il faut l’ivresse et le sommeil pour une telle folie.
(Platon dit que le vin n’existait pas encore à ce moment-là. Sans doute veut-il marquer par là l’identité de l’Amour et de Dionysos.)
L’enfant est misérable comme il convient à notre frère. Ce tableau délicieux de l’amour pauvre et vagabond, toujours gisant à terre à même le sol, nous fait inévitablement songer à saint François. Mais avant saint François, le Christ était pauvre et vagabond et n’avait pas où poser sa tête. Il avait aussi la pauvreté pour compagne.
Dans ce tableau aussi il y a des mots qui semblent destinés à rappeler le Prométhée d’Eschyle. Le corps de l’Amour est desséché, αὐχμηρὸς (aukhmêros). Celui de Prométhée aussi, προσαυαινόμενον (prosauinomenon), et la fleur de son teint est perdue (v. 23). L’Amour dort, ὑπαίθριος (hupaithrios), en plein air, sans abri. Prométhée est aussi ὑπαίθριος (v. 113) et αἰθέριον κίνυγμα (aitherion kinugma), suspendu dans l’air (v. 157). « Sophiste » est l’injure d’Hermès à Prométhée. Le mot μηχανὰς (mêkhanas) — procédé, ruse, machination, moyen, invention — revient aussi sans cesse dans la tragédie. (On le trouve aussi dans l’Électre de Sophocle, aussitôt après la reconnaissance d’Électre et d’Oreste.) Eschyle parle de l’habileté de Prométhée à trouver des remèdes, φαρμαχα (pharmaca).