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l’heure que l’Amour possède la plénitude du bien, de la beauté et de la sagesse. Ici aussi il faut comprendre que les propositions contradictoires sont vraies en même temps. Et comme l’Amour ne souffre rien sinon de plein gré, il s’est volontairement vidé de bien, de beauté et de sagesse.

Diotime explique que l’Amour est un δαίμων (daimôn). L’usage du mot δαίμων en grec est très variable. Parfois ce mot est synonyme de θεὸς (theos), dieu. Parfois il indique un être qui est au-dessus de l’homme, qui appartient à un monde surnaturel, mais qui est au-dessous de la divinité, quelque chose comme un ange. D’ailleurs, οἱ θεοί (hoi theoi), les dieux, cela veut dire aussi parfois quelque chose comme les anges. Parfois aussi δαίμων veut dire démon au sens où nous employons ce mot. Mais ici Diotime définit l’usage qu’elle fait du mot δαίμων. Il désigne les médiateurs, les intermédiaires entre l’homme et Dieu.


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L’Amour est un intermédiaire entre ce qui est mortel et ce qui est immortel… C’est un grand « daïmôn ». Et tout ce qui est de cette espèce est intermédiaire entre Dieu et l’homme. Avec quelle fonction, dis-je ? — Celle d’interpréter et de transmettre aux dieux les messages humains et aux hommes les messages divins, d’un côté les supplications et les sacrifices, de l’autre les commandements et les réponses aux sacrifices. Ce qui appartient à cette espèce, étant au milieu des uns et des autres, remplit ce milieu et relie ainsi le tout à lui-même. Par lui s’accomplit tout l’art des oracles et celui des prêtres et celui des sacrifices, et des mystères et des incantations. Dieu ne se mélange pas à l’homme, c’est par lui uniquement qu’il y a commerce et dialogue entre les dieux et les hommes.


Il est difficile de savoir si, dans l’esprit de Platon, il y