« Cette puissance m’a été abandonnée », et « Notre Père, celui des cieux ».
Cette double connaissance concernant la force n’était pas commune en Grèce non plus, mais elle a été assez répandue pour imprégner toute la civilisation, du moins à la bonne époque. Tout d’abord, elle est l’inspiration même du poème de l’Iliade, elle l’éclaire dans presque toutes ses parties. De même pour la tragédie grecque, les historiens, une grande partie de la philosophie.
Voici un autre aspect de cette double connaissance. Aujourd’hui, devant un acte de violence, les uns accordent leur sympathie à celui qui exerce la violence, les autres à celui qui la subit. Il y a de la lâcheté dans les deux attitudes. Les meilleurs parmi les Grecs, à commencer par le ou les poètes de l’Iliade, savaient que tout ce qui exerce ou subit la force est pareillement et dans la même mesure soumis à son empire dégradant. Qu’on manie la force ou qu’on soit blessé par elle, de toutes manières son contact pétrifie et transforme un homme en chose. Seul mérite le nom de bien ce qui échappe à ce contact et aussi, pour une part, ceux des hommes qui, par amour, ont transporté et caché en lui une partie de leur âme.
Une telle conception de la force permet seule de répandre équitablement la même compassion sur tous les êtres qui sont plongés tout entiers dans son empire, et d’imiter ainsi l’équité du Père céleste qui répand équitablement sur tous la pluie et la lumière du soleil. Eschyle a un mot admirable pour exprimer cette équité. Il nomme Zeus Ζεὺς ἑτερορρεπής, Zeus qui penche des deux côtés (Suppliantes, v. 403).
Platon, dans ce passage, affirme aussi fortement que possible que seul est juste ce qui est tout à fait soustrait au contact de la force. Or il n’y a qu’une faculté de l’âme