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des sexes n’est qu’une image sensible de cet état de dualité qui est notre tare essentielle, et l’union charnelle est une apparence trompeuse de remède. Mais le désir de sortir de l’état de dualité est la marque de l’Amour en nous, et le dieu Amour nous ramènera seul de cette dualité à l’unité qui est notre souverain bien. Quelle est cette unité ? il ne s’agit pas évidemment de l’union de deux êtres humains. Cette dualité qui est notre malheur, c’est la coupure par laquelle celui qui aime est autre que ce qui est aimé, celui qui connaît est autre que ce qui est connu, la matière de l’action autre que celui qui agit, c’est la séparation du sujet et de l’objet. L’unité est l’état où le sujet et l’objet sont une seule et même chose, l’état de celui qui se connaît soi-même et qui s’aime soi-même. Mais Dieu seul est ainsi et nous ne pouvons devenir ainsi que par l’assimilation à Dieu qu’opère l’amour de Dieu.


191 d

Chacun de nous est donc le « symbole » d’un homme qui a été coupé en deux à la manière des plies et chacun cherche perpétuellement le « symbole » qui lui appartient.


192 c

Et ceux qui passent leur vie ensemble sont ceux-là mêmes qui ne pourraient pas dire ce qu’ils veulent l’un de l’autre. Car on ne pourrait pas croire que ce soit pour le commerce des plaisirs charnels qu’ils ont une joie si ardente à être ensemble, mais il est manifeste que l’âme de chacun veut autre chose qu’elle n’est pas capable de dire, et elle exprime ce qu’elle veut comme par oracles et énigmes.


192 d

Si Héphaïstos demandait…

Ce que vous désirez, est-ce devenir absolument une même chose l’un avec l’autre, au point de n’être séparés ni jour ni nuit ? Si c’est là ce que vous désirez, je veux bien vous souder et vous unir en un seul être, de manière qu’étant deux vous deveniez un, et, que toute votre vie, étant un, vous meniez une existence commune. Et quand vous serez morts, là-bas aussi, dans l’autre monde, au lieu de deux