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ἳtombe dans un désespoir sans fond, elle souhaite mourir. Mais bien qu’elle n’espère plus rien, pas un instant elle ne songe à pactiser. Elle ne hait que plus intensément les ennemis. Pendant qu’elle tient l’urne en pleurant, Oreste, qui l’avait prise pour une esclave, la reconnaît à ses larmes. Il lui apprend que l’urne est vide. Il se révèle à elle.

Il y a double reconnaissance. Dieu reconnaît l’âme à ses larmes puis il se fait reconnaître.

C’est quand l’âme épuisée a cessé d’attendre Dieu, quand le malheur extérieur ou la sécheresse intérieure lui fait croire que Dieu n’est pas une réalité, si néanmoins elle continue à l’aimer, si elle a horreur des biens d’ici-bas qui prétendent le remplacer, c’est alors que Dieu après quelque temps vient jusqu’à elle, se montre, lui parle, la touche. C’est ce que saint Jean de la Croix appelle nuit obscure.

D’autre part, ce deuil mené sur l’urne et les cendres d’Oreste, suivi de la joie de la reconnaissance, évoque aussi clairement que possible le thème du Dieu mort et ressuscité. Un vers désigne ce thème sans ambiguïté :


μηχαναῖσι μὲν θανόντα, νῦν δἐ μηχαναῖς σεσωσμένον
(mêchanaisi men thanonta, nun de mechanais sesôsmenon)

un stratagème l’a fait mourir, à présent un stratagème l’a sauvé.


Mais stratagème ne convient pas. Le mot μηχανῆ est employé par les tragiques, Platon, Pindare, Hérodote, dans beaucoup de textes qui ont rapport clair ou caché, direct ou indirect, certain ou conjectural, avec les notions de salut et de rédemption, notamment dans le