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d’une manière un peu rigoureuse, on reconnaît que l’on nomme de ce nom de simples paquets de rapports qui s’imposent à la pensée par l’intermédiaire des sens. Il en est de même pour les sentiments, pour les idées, pour tout le contenu psychologique de la conscience humaine.

Nous n’avons en nous et autour de nous que des rapports. Dans les demi-ténèbres où nous sommes plongés, tout pour nous est rapport, comme dans la lumière de la réalité tout est en soi médiation divine. Le rapport, c’est la médiation divine entrevue dans nos ténèbres.

Cette identité est ce qu’exprimait saint Jean en donnant au Christ le nom du rapport, logos, et ce qu’exprimaient les Pythagoriciens en disant : « Tout est nombre. »

Quand on sait cela, on sait qu’on vit dans la médiation divine, non pas comme un poisson dans la mer, mais comme une goutte d’eau dans la mer. En nous, hors de nous, ici-bas, dans le royaume de Dieu, nulle part il n’y a autre chose. Et la médiation, c’est exactement la même chose que l’Amour.

La médiation suprême est celle du Saint-Esprit unissant à travers une distance infinie le Père divin au Fils également divin, mais vidé de sa divinité et cloué sur un point de l’espace et du temps. Cette distance infinie est faite de la totalité de l’espace et du temps. La portion d’espace autour de nous, limitée par le cercle de l’horizon, la portion de temps entre notre naissance et notre mort, que nous vivons seconde après seconde, qui est le tissu de notre vie, c’est là un fragment de cette distance infinie entièrement traversée d’amour divin. L’être et la vie de chacun de nous sont un petit segment de cette ligne dont les extrémités sont deux Personnes et un seul Dieu, cette ligne où circule l’Amour qui est aussi le même Dieu. Nous ne sommes pas autre chose qu’un endroit