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gage de la place publique n’est pas celui de la chambre nuptiale.

Tout le monde sait qu’il n’y a de conversation vraiment intime qu’à deux ou trois. Déjà si l’on est cinq ou six le langage collectif commence à dominer. C’est pourquoi, quand on applique à l’Église la parole « Partout où deux ou trois d’entre vous seront réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux », on commet un complet contresens. Le Christ n’a pas dit deux cents, ou cinquante, ou dix. Il a dit deux ou trois. Il a dit exactement qu’il est toujours en tiers dans l’intimité d’une amitié chrétienne, l’intimité du tête-à-tête.

Le Christ a fait des promesses à l’Église, mais aucune de ces promesses n’a la force de l’expression : « Votre Père qui est dans le secret. » La parole de Dieu est la parole secrète. Celui qui n’a pas entendu cette parole, même s’il adhère à tous les dogmes enseignés par l’Église, est sans contact avec la vérité.

La fonction de l’Église comme conservatrice collective du dogme est indispensable. Elle a le droit et le devoir de punir de la privation des sacrements quiconque l’attaque expressément dans le domaine spécifique de cette fonction.

Ainsi, quoique j’ignore presque tout de cette affaire, j’incline à croire, provisoirement, qu’elle a eu raison de punir Luther.

Mais elle commet un abus de pouvoir quand elle prétend contraindre l’amour et l’intelligence à prendre son langage pour norme. Cet abus de pouvoir ne procède pas de Dieu. Il vient de la tendance naturelle de toute collectivité, sans exception, aux abus de pouvoir.

L’image du Corps mystique du Christ est très séduisante. Mais je regarde l’importance qu’on accorde aujourd’hui à cette image comme un des signes les plus graves de notre déchéance. Car notre vraie dignité n’est pas d’être des parties d’un corps, fût-il mystique, fût-il