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à travers toute la chair des nations d’Europe s’il ne contient pas en lui-même tout, absolument tout ? Sauf le mensonge, bien entendu. Mais en tout ce qui est, il y a la plupart du temps davantage de vérité que de mensonge.

Ayant un sentiment si intense, si douloureux de cette urgence, je trahirais la vérité, c’est-à-dire l’aspect de la vérité que j’aperçois, si je quittais le point où je me trouve depuis la naissance, à l’intersection du christianisme et de tout ce qui n’est pas lui.

Je suis toujours demeurée sur ce point précis, au seuil) de l’Église, sans bouger, immobile, ἐν ὑπομονῇ (c’est un mot tellement plus beau que patientia !) ; seulement maintenant mon cœur a été transporté, pour toujours, j’espère, dans le Saint-Sacrement exposé sur l’autel.

Vous voyez que je suis bien loin des pensées que H… m’attribuait avec beaucoup de bonnes intentions. Je suis loin aussi d’éprouver aucun tourment.

Si j’ai de la tristesse, cela vient d’abord de la tristesse permanente que le sort a imprimée pour toujours dans ma sensibilité à laquelle les joies les plus grandes, les plus pures, peuvent seulement se superposer, et cela au prix d’un effort de l’attention ; puis de mes misérables et continuels péchés ; puis de tous les malheurs de cette époque et de tous ceux de tous les siècles passés.

Je pense que vous devez comprendre que je vous aie toujours résisté ; si toutefois, étant prêtre, vous pouvez admettre qu’une vocation authentique empêche d’entrer dans l’Église,

Autrement il restera une barrière d’incompréhension entre nous, soit que l’erreur soit de ma part ou de la vôtre. Cela me ferait du chagrin du point de vue de mon amitié pour vous, parce qu’en ce cas, pour vous, le bilan des efforts et des désirs provoqués par votre charité envers moi serait une déception. Et quoiqu’il n’y ait pas de ma faute, je ne pourrais m’empêcher de m’accuser