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semble parfois qu’étant traitée d’une manière si miséricordieuse, tout péché de ma part doit être un péché mortel. Et j’en commets sans cesse.

Je vous ai dit que vous êtes pour moi quelque chose à la fois comme un père et comme un frère. Mais ces mots n’expriment qu’une analogie. Peut-être au fond correspondent-ils seulement à un sentiment d’affection, de reconnaissance et d’admiration. Car quant à la direction spirituelle de mon âme, je pense que Dieu lui-même l’a prise en main dès le début et la conserve.

Cela ne m’empêche pas d’avoir envers vous la plus grande dette que je puisse avoir contractée envers un être humain. Voici exactement en quoi elle consiste.

D’abord vous m’avez dit une fois, au début de nos relations, une parole qui est allée jusqu’au fond de moi-même. Vous m’avez dit : « Faites bien attention, car si vous passiez à côté d’une grande chose par votre faute, ce serait dommage. »

Cela m’a fait apercevoir un nouvel aspect du devoir de probité intellectuelle. Jusque-là je ne l’avais conçu que contre la foi. Cela semble horrible, mais ne l’est pas, au contraire. Cela tenait à ce que je sentais tout mon amour du côté de la foi. Vos paroles m’ont fait penser que peut-être il y avait en moi, à mon insu, des obstacles impurs à la foi, des préjugés, des habitudes. J’ai senti qu’après m’être dit seulement pendant tant d’années « Peut-être que tout cela n’est pas vrai » je devais, non pas cesser de me le dire — j’ai soin de me le dire très souvent encore à présent — mais joindre à cette formule la formule contraire, « Peut-être que tout cela est vrai », et les faire alterner.

En même temps, en faisant pour moi de la question du baptême un problème pratique, vous m’avez forcée à regarder en face, longtemps, de tout près, avec la plénitude de l’attention, la foi, les dogmes et les sacrements, comme des choses envers lesquelles j’avais des obliga-