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Il y avait là un jeune Anglais catholique qui m’a donné pour la première fois l’idée d’une vertu surnaturelle des sacrements, par l’éclat véritablement angélique dont il paraissait revêtu après avoir communié. Le hasard — car j’aime toujours mieux dire hasard que Providence — a fait de lui, pour moi, vraiment un messager. Car il m’a fait connaître l’existence de ces poètes anglais du xviie siècle qu’on nomme métaphysiques. Plus tard, en les lisant, j’y ai découvert le poème dont je vous ai lu une traduction malheureusement bien insuffisante, celui qui est intitulé Amour. Je l’ai appris par cœur. Souvent, au moment culminant des crises violentes de maux de tête, je me suis exercée à le réciter en y appliquant toute mon attention et en adhérant de toute mon âme à la tendresse qu’il enferme. Je croyais le réciter seulement comme un beau poème, mais à mon insu cette récitation avait la vertu d’une prière. C’est au cours d’une de ces récitations que, comme je vous l’ai écrit, le Christ lui-même est descendu et m’a prise.

Dans mes raisonnements sur l’insolubilité du problème de Dieu, je n’avais pas prévu la possibilité de cela, d’un contact réel, de personne à personne, ici-bas, entre un être humain et Dieu. J’avais vaguement entendu parler de choses de ce genre, mais je n’y avais jamais cru. Dans les Fioretti les histoires d’apparition me rebutaient plutôt qu’autre chose, comme les miracles dans l’Évangile. D’ailleurs dans cette soudaine emprise du Christ sur moi, ni les sens ni l’imagination n’ont eu aucune part ; j’ai seulement senti à travers la souffrance la présence d’un amour analogue à celui qu’on lit dans le sourire d’un visage aimé.

Je n’avais jamais lu de mystiques, parce que je n’avais jamais rien senti qui m’ordonnât de les lire. Dans les lectures aussi je me suis toujours efforcée de pratiquer l’obéissance. Il n’y a rien de plus favorable au progrès intellectuel, car je ne lis autant que possible que ce dont