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Autant j’étais certaine que le désir possède par lui-même une efficacité dans ce domaine du bien spirituel sous toutes ses formes, autant je croyais pouvoir l’être aussi qu’il n’est efficace dans aucun autre domaine.

Quant à l’esprit de pauvreté, je ne me rappelle pas de moment où il n’ait pas été en moi, dans la mesure, malheureusement faible, où cela était compatible avec mon imperfection. Je me suis éprise de saint François dès que j’ai eu connaissance de lui. J’ai toujours cru et espéré que le sort me pousserait un jour par contrainte dans cet état de vagabondage et de mendicité où il est entré librement. Je ne pensais pas parvenir à l’âge que j’ai sans être au moins passée par là. Il en est de même d’ailleurs pour la prison.

J’ai eu aussi dès la première enfance la notion chrétienne de charité du prochain, à laquelle je donnais ce nom de justice qu’elle a dans plusieurs endroits de l’Évangile, et qui est si beau. Vous savez que sur ce point, depuis, j’ai gravement défailli plusieurs fois.

Le devoir d’acceptation à l’égard de la volonté de Dieu, quelle qu’elle puisse être, s’est imposé à mon esprit comme le premier et le plus nécessaire de tous, celui auquel on ne peut manquer sans se déshonorer, dès que je l’ai trouvé exposé dans Marc-Aurèle sous la forme de l’amor fati stoïcien.

La notion de pureté, avec tout ce que ce mot peut impliquer pour un chrétien, s’est emparée de moi à seize ans, après que j’avais traversé pendant quelques mois les inquiétudes sentimentales naturelles à l’adolescence. Cette notion m’est apparue dans la contemplation d’un paysage de montagne, et peu à peu s’est imposée d’une manière irrésistible.

Bien entendu, je savais très bien que ma conception de la vie était chrétienne. C’est pourquoi il ne m’est jamais venu à l’esprit que je pourrais entrer dans le christianisme. J’avais l’impression d’être née à l’intérieur.