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De Marseille, 15 mai environ.
Mon Père,

Avant de partir je veux encore vous parler, pour la dernière fois peut-être, car de là-bas je ne ferai sans doute que vous envoyer parfois de mes nouvelles pour avoir des vôtres.

Je vous ai dit que j’avais une dette immense envers vous. Je veux tâcher de vous dire exactement et honnêtement en quoi elle consiste. Je pense que si vous pouviez vraiment comprendre quelle est ma situation spirituelle vous n’auriez aucun chagrin de ne pas m’avoir amenée au baptême. Mais je ne sais si c’est possible pour vous.

Vous ne m’avez pas apporté l’inspiration chrétienne ni le Christ ; car quand je vous ai rencontré cela n’était plus à faire, c’était fait, sans l’entremise d’aucun être humain. S’il n’en avait pas été ainsi, si je n’avais pas déjà été prise, non seulement implicitement, mais consciemment, vous ne m’auriez rien donné, car je n’aurais rien reçu de vous. Mon amitié pour vous aurait été une raison pour moi de refuser votre message, car j’aurais eu peur des possibilités d’erreur et d’illusion impliquées par une influence humaine dans le domaine des choses divines.

Je peux dire que dans toute ma vie je n’ai jamais, à aucun moment, cherché Dieu. Pour cette raison peut-être, sans doute trop subjective, c’est une expression que je n’aime pas et qui me paraît fausse. Dès l’adolescence j’ai pensé que le problème de Dieu est un problème dont les données manquent ici-bas et que la seule méthode certaine pour éviter de le résoudre à faux, ce qui me semblait le plus grand mal possible, était de ne pas le poser. Ainsi je ne le posais pas. Je n’affirmais ni ne niais. Il me paraissait inutile de résoudre ce problème, car je pensais qu’étant en ce monde notre affaire était d’adopter la