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LETTRE III

À propos de son départ

16 avril 1942.
Mon Père,

Sauf imprévu, nous nous verrons dans huit jours pour la dernière fois. Je dois partir à la fin du mois.

Si vous pouviez arranger les choses de manière que nous puissions parler à loisir de ce choix de textes, ce serait bien. Mais je suppose que ce ne sera pas possible.

Je n’ai aucune envie de partir. Je partirai avec angoisse. Les calculs de probabilité qui me déterminent sont si incertains qu’ils ne me soutiennent guère. La pensée qui me guide, et qui habite en moi depuis des années, de sorte que je n’ose pas l’abandonner, quoique les chances de réalisation soient faibles, est assez proche du projet pour lequel vous avez eu la grande générosité de m’aider il y a quelques mois, et qui n’a pas réussi.

Au fond la principale raison qui me pousse, c’est qu’étant donné la vitesse acquise et le concours des circonstances, il me semble que c’est la décision de rester qui serait de ma part un acte de volonté propre. Et mon plus grand désir est de perdre non seulement toute volonté, mais tout être propre.

Il me semble que quelque chose me dit de partir. Comme je suis tout à fait sûre que ce n’est pas la sensibilité, je m’y abandonne.