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moi. Mais en fin de compte je ne peux pas. Je n’en ai pas le droit.

Je crois que dans les choses très importantes on ne franchit pas les obstacles. On les regarde fixement, aussi longtemps qu’il le faut, jusqu’à ce que, dans le cas où ils procèdent des puissances d’illusion, ils disparaissent. Ce que j’appelle obstacle est autre chose que l’espèce d’inertie qu’il faut surmonter à chaque pas qu’on fait dans la direction du bien. J’ai l’expérience de cette inertie. Les obstacles sont tout autre chose. Si on veut les franchir avant qu’ils aient disparu, on risque des phénomènes de compensation auxquels fait allusion, je crois, le passage de l’Évangile sur l’homme de chez qui un démon est parti et chez qui ensuite sept démons sont revenus.

La simple pensée que je pourrais jamais, au cas où je serais baptisée dans des dispositions autres que celles qui conviennent, avoir par la suite, même un seul instant, un seul mouvement intérieur de regret, cette pensée me fait horreur. Même si j’avais la certitude que le baptême est la condition absolue du salut, je ne voudrais pas, en vue de mon salut, courir ce risque. Je choisirais de m’abstenir tant que je n’aurais pas la conviction de ne pas courir ce risque. On a une telle conviction seulement quand on pense qu’on agit par obéissance. L’obéissance seule est invulnérable au temps.

Si j’avais mon salut éternel posé devant moi sur cette table, et si je n’avais qu’à tendre la main pour l’obtenir, je ne tendrais pas la main aussi longtemps que je ne penserais pas en avoir reçu l’ordre. Du moins j’aime à le croire. Et si au lieu du mien c’était le salut éternel de tous les êtres humains passés, présents et à venir, je sais qu’il faudrait faire de même. Là j’y aurais de la peine. Mais si j’étais seule en cause il me semble presque que je n’y aurais pas de peine. Car je ne désire pas autre