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19 janvier 1942.
Mon cher Père,

Je me décide à vous écrire… pour clore — tout au moins jusqu’à nouvel ordre — nos entretiens concernant mon cas. Je suis fatiguée de vous parler de moi, car c’est un sujet misérable ; mais j’y suis contrainte par l’intérêt que vous me portez par l’effet de votre charité.

Je me suis interrogée ces jours-ci sur la volonté de Dieu, en quoi elle consiste et de quelle manière on peut parvenir à s’y conformer complètement. Je vais vous dire ce que j’en pense.

Il faut distinguer trois domaines. D’abord ce qui ne dépend absolument pas de nous ; cela comprend tous les faits accomplis dans tout l’univers à cet instant-ci, puis tout ce qui est en voie d’accomplissement ou destiné à s’accomplir plus tard hors de notre portée. Dans ce domaine tout ce qui se produit en fait est la volonté de Dieu, sans aucune exception. Il faut donc dans ce domaine aimer absolument tout, dans l’ensemble et dans chaque détail, y compris le mal sous toutes ses formes ; notamment ses propres péchés passés pour autant qu’ils sont passés (car il faut les haïr pour autant que leur racine est encore présente), ses propres souffrances passées, présentes et à venir, et — ce qui est de loin le plus difficile — les souffrances des autres hommes pour autant qu’on n’est pas appelé à les soulager. Autrement dit il