Page:Weil - Attente de Dieu, 1950.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir des disciples. Mais combien il dut longuement, patiemment et prudemment les former ! Au lieu que l’eunuque de la reine d’Éthiopie, le pays qui apparaît dans l’Iliade comme la terre d’élection des dieux, où selon Hérodote on adorait uniquement Zeus et Dionysos, dans lequel d’après le même Hérodote la mythologie grecque plaçait le refuge où fut caché et préservé Dionysos enfant, cet eunuque n’eut besoin d’aucune préparation. Dès qu’il eut entendu le récit de la vie et de la mort du Christ il reçut le baptême.

L’Empire romain était alors vraiment idolâtre. L’idole était l’État. On adorait l’empereur. Toutes les formes de vie religieuse devant être subordonnées à celle-là, aucune d’elles ne pouvait s’élever au-dessus de l’idolâtrie. On massacra absolument tous les Druides de Gaule. On tua et emprisonna les fervents de Dionysos en les accusant de débauche, motif assez peu vraisemblable étant donné la quantité de débauche publiquement tolérée. On pourchassa les pythagoriciens, les stoïciens, les philosophes. Ce qui restait était vraiment de la basse idolâtrie, et ainsi les préjugés d’Israël transmis aux premiers chrétiens se trouvaient vérifiés par coïncidence. Les mystères grecs étaient depuis longtemps avilis, ceux importés d’Orient avaient à peu près autant d’authenticité qu’aujourd’hui les croyances des théosophes.

Ainsi put s’accréditer la notion fausse de paganisme. Nous ne nous rendons pas compte que si les Hébreux de la bonne époque ressuscitaient parmi nous, leur première idée serait de tous nous massacrer, y compris les enfants dans leurs berceaux, et de raser nos villes, pour crimes d’idolâtrie. Ils nommeraient le Christ un Baal et la Vierge une Astarté.

Leurs préjugés infiltrés dans la substance même du christianisme ont déraciné l’Europe, l’ont coupée de son passé millénaire, ont établi une cloison étanche, infranchissable entre la vie religieuse et la vie profane, celle-