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obscure de saint Jean de la Croix si l’incrédule aime Dieu, s’il est comme l’enfant qui ne sait pas qu’il y a quelque part du pain, mais qui crie qu’il a faim.

Quand on mange du pain, et même quand on en a mangé, on sait que le pain est réel. On peut néanmoins mettre en doute la réalité du pain. Les philosophes mettent en doute la réalité du monde sensible. Mais c’est un doute purement verbal, qui n’entame pas la certitude, qui la rend même plus manifeste pour un esprit bien orienté. De même celui à qui Dieu a révélé sa réalité peut sans inconvénient mettre cette réalité en doute. C’est un doute purement verbal, un exercice utile à la santé de l’intelligence. Ce qui est un crime de trahison, même avant une telle révélation, bien plus encore après, c’est de mettre en doute que Dieu soit la seule chose qui mérite d’être aimée. C’est de détourner le regard. L’amour est le regard de l’âme. C’est de s’arrêter un instant, d’attendre et d’écouter.

Électre ne cherche pas Oreste, elle l’attend. Quand elle croit qu’il n’existe plus, que nulle part au monde il n’y a rien qui soit Oreste, elle ne se rapproche pas pour cela de son entourage. Elle s’en écarte avec davantage de répulsion. Elle aime mieux l’absence d’Oreste que la présence de quoi que ce soit d’autre. Oreste devait la délivrer de son esclavage, des haillons, du travail servile, de la saleté, de la faim, des coups et d’humiliations innombrables. Elle n’espère plus cela. Mais elle ne songe pas un instant à user de l’autre procédé qui peut lui procurer une vie luxueuse et honorée, le procédé de la réconciliation avec les plus forts. Elle ne veut pas obtenir l’abondance et la considération si ce n’est pas Oreste qui les lui procure. Elle n’accorde pas même une pensée à ces choses. Tout ce qu’elle désire, c’est de ne pas exister dès lors qu’Oreste n’existe pas.

À ce moment Oreste n’y tient plus. Il ne peut s’empêcher de se nommer. Il donne la preuve certaine qu’il est