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nions, est une atteinte à la pureté de l’amitié en même temps qu’à la probité intellectuelle. Cela est très fréquent. Mais aussi une amitié pure est rare.

Quand les liens d’affection et de nécessité entre êtres humains ne sont pas surnaturellement transformés en amitié, non seulement l’affection est impure et basse, mais aussi elle se mélange de haine et de répulsion. Cela apparaît très bien dans L’École des Femmes et dans Phèdre. Le mécanisme est le même dans les affections autres que l’amour charnel. Il est facile à comprendre. Nous haïssons ce dont nous dépendons. Nous prenons en dégoût ce qui dépend de nous. Parfois l’affection ne se mélange pas seulement, elle se transforme entièrement en haine et en dégoût. Parfois même la transformation est presque immédiate, de sorte que presque aucune affection n’a eu le temps d’apparaître ; c’est le cas quand la nécessité est presque tout de suite mise à nu. Quand la nécessité qui lie des êtres humains n’est pas de nature affective, quand elle tient seulement aux circonstances, l’hostilité surgit souvent dès l’abord.

Quand le Christ disait à ses disciples : « Aimez-vous les uns les autres », ce n’était pas l’attachement qu’il leur prescrivait. Comme en fait il y avait entre eux des liens causés par les pensées communes, la vie en commun, l’habitude, il leur commandait de transformer ces liens en amitié pour ne pas les laisser tourner en attachement impur ou en haine.

Le Christ ayant peu avant sa mort ajouté cette parole comme un commandement nouveau aux commandements de l’amour du prochain et de l’amour de Dieu, on peut penser que l’amitié pure, comme la charité du prochain, enferme quelque chose comme un sacrement. Le Christ a peut-être voulu indiquer cela concernant l’amitié chrétienne quand il a dit : « Quand deux ou trois d’entre vous seront réunis en mon nom, je serai parmi eux. » L’amitié pure est une image de l’amitié originelle