ciellement, que la religion ne consiste pas en autre chose qu’en un regard. Tant qu’elle prétend être autre chose, il est inévitable ou qu’elle soit enfermée à l’intérieur des églises, ou qu’elle étouffe tout en tout autre lieu où elle se trouve. La religion ne doit pas prétendre occuper dans la société une autre place que celle qui convient à l’amour surnaturel dans l’âme. Mais il est vrai aussi que beaucoup de gens dégradent la charité en eux-mêmes parce qu’ils veulent lui faire occuper dans leur âme une place trop grande et trop visible. Notre Père ne réside que dans le secret. L’amour ne va pas sans pudeur. La foi véritable implique une grande discrétion même vis-à-vis de soi-même. Elle est un secret entre Dieu et nous auquel nous-mêmes n’avons presque aucune part.
L’amour du prochain, l’amour de la beauté du monde, l’amour de la religion sont des amours en un sens tout à fait impersonnels. L’amour de la religion pourrait facilement ne pas l’être, parce que la religion a rapport à un milieu social. Il faut que la nature même des pratiques religieuses y remédie. Au centre de la religion catholique se trouve un peu de matière sans forme, un peu de pain. L’amour dirigé sur ce morceau de matière est nécessairement impersonnel. Ce n’est pas la personne humaine du Christ telle que nous l’imaginons, ce n’est pas la personne divine du Père soumise elle aussi en nous à toutes les erreurs de notre imagination, c’est ce fragment de matière qui est au centre de la religion catholique. C’est ce qu’il y a en elle de plus scandaleux et c’est en quoi réside sa plus merveilleuse vertu. Dans toutes les formes authentiques de vie religieuse il y a de même quelque chose qui en garantit le caractère impersonnel. L’amour de Dieu doit être impersonnel, tant qu’il n’y a pas encore eu contact direct et personnel ; autrement c’est un amour imaginaire. Ensuite il doit être à la fois personnel et de nouveau impersonnel en un sens plus élevé.