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compagne de beaucoup de fatigue et de souffrance. Car la partie médiocre de nous-mêmes ne craint pas la fatigue et la souffrance, elle craint d’être tuée.

Il y a des gens qui essaient d’élever leur âme comme un homme pourrait sauter continuellement à pieds joints, dans l’espoir qu’à force de sauter tous les jours plus haut un jour il ne retombera plus, mais montera jusqu’au ciel. Ainsi occupé, il ne peut pas regarder le ciel. Nous ne pouvons pas faire même un pas vers le ciel. La direction verticale nous est interdite. Mais si nous regardons longtemps le ciel, Dieu descend et nous enlève. Il nous enlève facilement. Comme dit Eschyle : « Ce qui est divin est sans effort. » Il y a dans le salut une facilité plus difficile pour nous que tous les efforts.

Dans un conte de Grimm, il y a concours de force entre un géant et un petit tailleur. Le géant lance une pierre si haut qu’elle met très longtemps avant de retomber. Le petit tailleur lâche un oiseau qui ne retombe pas. Ce qui n’a pas d’aile finit toujours par retomber.

C’est parce que la volonté est impuissante à opérer le salut que la notion de morale laïque est une absurdité. Car ce qu’on nomme la morale ne fait appel qu’à la volonté, et dans ce qu’elle a pour ainsi dire de plus musculaire. La religion au contraire correspond au désir, et c’est le désir qui sauve.

La caricature romaine du stoïcisme fait aussi appel à la volonté musculaire. Mais le vrai stoïcisme, le stoïcisme grec, celui auquel saint Jean, ou peut-être le Christ, a emprunté les termes de « logos » et « pneuma », est uniquement désir, piété et amour. Il est plein d’humilité.

Le christianisme d’aujourd’hui, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, s’est laissé contaminer par ses adversaires. La métaphore de la recherche de Dieu évoque des efforts de volonté musculaire. Pascal, il est vrai, a contribué à la fortune de cette métaphore. Il a commis