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nomme généralement effort, violence sur soi, acte de volonté. Il faudrait d’autres mots pour en parler, mais le langage n’en a pas.

L’effort par lequel l’âme se sauve ressemble à celui par lequel on regarde, par lequel on écoute, par lequel une fiancée dit oui. C’est un acte d’attention et de consentement. Au contraire, ce que le langage nomme volonté est quelque chose d’analogue à l’effort musculaire.

La volonté est au niveau de la partie naturelle de l’âme. Le bon exercice de la volonté est une condition du salut nécessaire sans doute, mais lointaine, inférieure, très subordonnée, purement négative. L’effort musculaire du paysan arrache les mauvaises herbes, mais le soleil et l’eau font seuls pousser le blé. La volonté n’opère dans l’âme aucun bien.

Les efforts de volonté ne sont à leur place que pour l’accomplissement des obligations strictes. Partout où il n’y a pas d’obligation stricte, il faut suivre soit l’inclination naturelle, soit la vocation, c’est-à-dire le commandement de Dieu. Les actes qui procèdent de l’inclination ne sont évidemment pas des efforts de volonté. Et dans les actes d’obéissance à Dieu, on est passif ; quelles que soient les peines qui les accompagnent, quel que soit le déploiement apparent d’activité, il ne se produit dans l’âme rien d’analogue à l’effort musculaire ; il y a seulement attente, attention, silence, immobilité à travers la souffrance et la joie. La crucifixion du Christ est le modèle de tous les actes d’obéissance.

Cette espèce d’activité passive, la plus haute de toutes, est parfaitement décrite dans la Bhagavat-Gîta et dans Lao-Tseu. Là aussi il y a une unité surnaturelle des contraires, harmonie au sens pythagoricien.

L’effort de volonté vers le bien est un des mensonges sécrétés par la partie médiocre de nous-mêmes dans sa peur d’être détruite. Cet effort ne la menace aucunement, ne diminue même pas son confort, et cela même s’il s’ac-