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L’amour de la religion instituée a normalement pour objet la religion dominante du pays ou du milieu où on a été élevé. C’est à elle que tout homme pense d’abord, par l’effet d’une habitude entrée dans l’âme avec la vie, toutes les fois qu’il pense à un service de Dieu.

La vertu des pratiques religieuses peut être conçue tout entière d’après la tradition bouddhiste concernant la récitation du nom du Seigneur. On dit que le Bouddha aurait fait vœu d’élever jusqu’à lui, dans le Pays de la Pureté, tous ceux qui réciteraient son nom avec le désir d’être sauvés par lui ; et qu’à cause de ce vœu la récitation du nom du Seigneur a réellement la vertu de transformer l’âme.

La religion n’est pas autre chose que cette promesse de Dieu. Toute pratique religieuse, tout rite, toute liturgie est une forme de la récitation du nom du Seigneur, et doit en principe avoir réellement une vertu ; la vertu de sauver quiconque s’y adonne avec ce désir.

Toutes les religions prononcent dans leur langue le nom du Seigneur. Le plus souvent, il vaut mieux pour un homme nommer Dieu dans sa langue natale plutôt que dans une langue étrangère. Sauf exception, l’âme est incapable de s’abandonner complètement au moment où elle doit s’imposer le léger effort de chercher les mots d’une langue étrangère, même bien connue.

Un écrivain dont la langue natale est pauvre, peu maniable et peu répandue dans le monde est très fortement tenté d’en adopter une autre. Il y a eu quelques cas de réussite éclatante, comme Conrad, mais très rares. Sauf exception un tel changement fait du mal, dégrade la pensée et le style ; l’écrivain reste médiocre et mal à l’aise dans le langage adopté.

Un changement de religion est pour l’âme comme un changement de langage pour un écrivain. Toutes les religions, il est vrai, ne sont pas également aptes à la récitation correcte du nom du Seigneur. Certaines sans