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forme de nation, plus elles prétendent à être elles-mêmes des patries, plus elles sont des images difformes et souillées. Mais détruire des cités, soit matériellement, soit moralement, ou bien exclure des êtres humains de la cité en les précipitant parmi les déchets sociaux, c’est couper tout lien de poésie et d’amour entre des âmes humaines et l’univers. C’est les plonger de force dans l’horreur de la laideur. Il n’y a guère de crime plus grand. Nous avons tous par complicité part à une quantité presque innombrable de tels crimes. Nous devrions tous, si seulement nous pouvions comprendre, en pleurer des larmes de sang.


Amour des pratiques religieuses

L’amour de la religion instituée, quoique le nom de Dieu y soit nécessairement présent, n’est pourtant pas par lui-même un amour explicite, mais implicite de Dieu. Car il n’enferme pas un contact direct, immédiat avec Dieu. Dieu est présent dans les pratiques religieuses, quand elles sont pures, de la même manière que dans le prochain et dans la beauté du monde ; non pas davantage.

La forme que prend dans l’âme l’amour de la religion diffère beaucoup selon les circonstances de la vie. Certaines circonstances empêchent que cet amour prenne même naissance ou bien le tuent avant qu’il ait pu prendre beaucoup de force. Certains hommes contractent malgré eux, dans le malheur, la haine et le mépris de la religion, parce que la cruauté, l’orgueil ou la corruption de certains de ses ministres les ont fait souffrir. D’autres ont été élevés dès leur enfance dans un milieu imprégné de cet esprit. Il faut penser qu’en pareil cas, par la miséricorde de Dieu, l’amour du prochain et celui de la beauté du monde, s’ils sont assez forts et assez purs, sont suffisants pour conduire l’âme à n’importe quelle hauteur.